La lointaine légende du projet d’école

Après quelques années à avoir arpenté les bancs de la fac j’ai enfin accédé à une mission qui me passionnait : le professorat.

Me voilà donc ravi de fréquenter une salle des profs, l’envers du décor et la joie d’accompagner des élèves dans les apprentissages et dans leur émancipation. Ma première année s’est bien déroulée : l’institution a été sympa, elle m’a nommé sur mon poste en plein milieu des vacances d’été. Les écoles sont moins sympathiques par contre, bizarrement personne ne répondait fin juillet. Heureusement j’ai vite appris à être moderne, la première chose que l’on m’a inculqué c’est de monter des séquences sur une tablette. L’école n’en avait pas mais ce n’est pas un drame. Les élèves sont globalement gentils, surtout celui pour lequel les collègues avaient déjà fait 4 IP sans réponse.

Puis est arrivé le COVID où j’ai pu dévoiler tous mes talents auprès des parents en utilisant mon propre téléphone et mon propre ordinateur. Difficile quand même de faire passer tous les jours, comme exigé par l’institution, mes tests de fluence en lecture par internet.

J’ai mis ces difficultés sur le compte de la situation sanitaire. Après tout, qui aurait pu prévoir qu’en démontant les services publics nous allions finir par le payer ?

Je ne suis plus trop rassuré par la bienveillance de mon institution avec cette deuxième rentrée: fourniture de masques immettables, instructions contraires permanentes, appels constants à projets rayonnants, convocation le soir et les mercredis à des animations pédagogiques passionnantes au mépris de la fatigue et de la vie de famille. Il parait qu’il y a dix ans les GA (gentil-le-s animateur-rices) racontaient le strict contraire de ce qu’ils-elles transmettent maintenant, sur injonction, du ministère. Comme il parait qu’il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis, je me dis du coup que l’Education Nationale est remplie de génies incompris.

Est arrivé ensuite une chose que je ne connaissais que de réputation : le projet d’école. On m’en avait parlé mais je pensais que c’était une légende, comme les licornes, un gouvernement de gauche, ou l’école de la confiance. Une collègue tremblotante me racontait autour de son quinzième café de la matinée qu’il fut un temps lointain où les écoles pouvaient monter leur projet propre à partir de leur expérience de groupe et des élèves qu’ils accompagnent. Même qu’ils en discutaient de manière informelle ensemble entre midi et deux car à l’époque il n’y avait pas d’APC.

Du coup je n’ai pas entièrement compris à la lecture de la trame du projet pourquoi les puissances de l’axe étaient fondées sur ADAGE et le 100% EAC. Mon indicateur à N+2 devait être déréglé sur ses fondamentaux. Même après deux PET cela restait abscons, peut-être ai-je besoin d’un PPRE ou d’un PAP.

Dans l’équipe c’est plein de collègues plus vieux ou plus vieilles que moi. Parfois ils disent du mal de leurs élèves. Au début je trouvais ça un peu déplacé mais finalement quand je vois le travail qu’ils et elles continuent de faire auprès d’eux je me dis qu’ils sont plus bienveillant-e-s que l’institution. Du coup on a joué à un vieux truc : chacun a mis un mot étrange sur des bouts de papier : performance, indicateur, fluence, parcours santé, label, heuristique, guide orange et framboise, fondamentaux, prédicat (ça c’est le cynique de l’équipe qui l’a rajouté en se demandant si ça passerait). On a tout mélangé pour faire des phrases et on l’a renvoyé en écrivant à chaque bas de page « pour l’école de la confiance ».

Nous verrons si cela passe, mais après tout comme nous cochons tous les mots clefs demandés par le ministère et le rectorat…  ça ne serait pas la première chose incompréhensible que je vois passer depuis que j’ai débuté il y a un an.