Education Prioritaire: les vrais problèmes

 

Débats... Education Prioritaire... Et si on parlait des vrais problèmes...

Contribution de Marc Le Roy

Pour la Ministre de l'Education Nationale cela faisait trente ans (pour l'Inspecteur d'Académie plutôt quinze comme pour nous...) que l'éducation prioritaire n'avait connu aucun changement. Le plan de relance initié par feu le ministre Peillon arrive par conséquent « à point nommé ». Ces affirmations ne résiste bien évidemment pas aux faits :

- en 1982 La création des ZEP, alors vécue comme une « discrimination positive », met en place 363 zones d'éducation prioritaires, qui touchent 8,3 % des écoliers, 10,2 % des collégiens, 7,4 % des élèves de lycée professionnel et 0,8 % de ceux de lycées généraux.

A l’origine de cette création, il y a une politique de «compensation» tendant à corriger les inégalités scolaires. Elle s’inspirait de la «guerre contre la pauvreté» lancée dans les années 60, aux Etats-Unis, sous le président Johnson ainsi que des mesures prises en Angleterre (rapport Plowden). La création du collège unique en France, en 1975, mettant fin à un système éducatif porteur d’inégalités d’accès à l’enseignement, avec un système dual qui orientait les élèves dès la fin du primaire. Mais un nouveau défi s’est alors présenté : celui des inégalités de réussite au sein du collège unique. C’est donc dans ce contexte qu’ont été mises en place les zones d’éducation prioritaire (ZEP) (cf D. Frandji, sociologue).

- en 1991 L. Jospin réforme une première fois les ZEP en augmentant leur nombre, qui passe à 554, et introduit d'autres changements comme la création d'une prime dédiée pour les personnels. Après cette relance, on compte 5503 écoles et 796 établissements en ZEP.

- Entre 1991 et 1999, la proportion de collégiens et d'écoliers en zone d'éducation prioritaire reste globalement stable (rapport IGEN, 2006). Mais cette stabilité cache des mouvements importants entre les académies.

- en 1997 La gauche lance une « seconde relance de l'éducation prioritaire », avec la création des contrats de réussite des réseaux d'éducation prioritaire (REP), qui modifie une nouvelle fois la carte.  En 1999, plus de 700 établissements sont sortis de la carte des ZEP, notamment en zone rurale, quand 1559 y entrent. 562 passent de ZEP en REP, dont des établissements qui n'étaient pas classés en éducation prioritaire.

- en 2006, une nouvelle approche est proposée avec un ciblage accru des réseaux les plus difficiles. Sont donc créés 253 réseaux ambition réussite (RAR), dotés de moyens supplémentaires et pilotés au niveau national. Les ZEP et REP restants sont regroupés en 823 réseaux de réussite scolaire (RRS) pilotés par les académies.

- en 2010, un autre programme, centré sur la violence scolaire, est mis en place et absorbe les RAR. Il est intitulé CLAIR, pour collège lycée ambition innovation réussite, puis ECLAIR, lorsqu'il intègre les écoles l'année suivante. En 2012, on compte 301 collèges et 2096 écoles en Eclair et toujours 781 collèges et 4457 écoles en RRS.

La réforme de 2013-2014 vise donc à remplacer les ECLAIR et RRS par les REP et REP+.

Quand Najat Vallaud Belkacem affirme que la tendance a longtemps été à l'accroissement et que les rapports notent la difficulté à « sortir » un établissement d'un réseau d'éducation prioritaire une fois qu'il y est rentré, elle n'a pas tout à fait tort. 

Néanmoins, après un pic au début des années 2000, les établissements concernés par un programme d'éducation prioritaire ont cessé de croître. Selon les chiffres du Réseau Canopé, on comptait plus d'écoles en zone prioritaire en 1999-2000 qu'en 2012 : 7329 contre 6770. Quant aux collèges, il y en avait un peu plus en 1999 (1105) qu'en 2012 (1099).

L'objectif clairement affiché par Mme le ministre est de «faire reculer les déterminismes sociaux de l'Ecole». C'est pourquoi les écoles, collèges et lycées qui constituent les nouveaux REP (Réseaux d'Education Prioritaire, 1082 au total, 732 REP et 350 REP+) vont recevoir des moyens proportionnés non seulement à la démographie mais aussi aux difficultés sociales et scolaires de leurs élèves. Outre ces moyens, le ministère veut agir sur les programmes et l'évaluation ainsi que sur l'organisation du collège (mise en place d'un tronc commun et de pratiques différenciées adaptées aux besoins).

Malheureusement, des écueils (volontaires?) surgissent très rapidement:

- les moyens sonnants et trébuchants alloués se font dans un cadre budgétaire contraint.

- le socle et l'orientation vers la voie professionnelle (apprentissage=panacée) ne sont pas remis en cause.

- l'autonomie des établissements – in fine celle des chefs et des IEN- et les dérives managériales qui l'accompagnent, prévalent sur l'autonomie des équipes pédagogiques.

En choisissant de concentrer les moyens sur certains établissements ou écoles au détriment d'autres, le MEN a dessiné une carte basé sur un indice social constitué de quatre critères dont deux sont sujets à caution. Outre le taux d'élèves boursiers et les CSP des parents, le critère «retard à l'entrée en 6ème» est trop dépendant de la politique locale des circonscriptions et celui du «taux d'élèves issus-es de ZUS (zones urbaines sensibles) est trop corrélé à la politique de la ville et exclut donc nombre de ZEP rurales ainsi que certains quartiers en grande difficultés. Une autre critique est que les lycées sont trop souvent les oubliés de ces nouveaux dispositifs. Or, l'EP ne saurait s'arrêter à la scolarité obligatoire, comme si le passage en 2nde mettait fin aux inégalités sociales et territoriales.

Autre élément d'analyse : la distribution des primes. L'INSEE a constaté (2004) que l'instauration du régime indemnitaire est sans effet sur le turn-over des personnels. Dans les collèges qui seront en REP, la mesure centrale est la hausse de 50 % de la prime ZEP (100 % en REP+), sorte de prise en compte de la pénibilité du travail mais qui ne remédie en rien aux difficultés scolaires des élèves. A noter qu'en plus du doublement de la prime en REP+, il y aura une pondération horaire de 1,1h dans le second degré ou 9 jours en primaire afin de dégager du temps.

La question posée est celle de la pérennisation des équipes : comment retenir les collègues chevronnés-es qui pourront transmettre leur expérience à des enseignants-es plus jeunes dans le métier ? L'élaboration collective d'un projet d'école, d'établissement ambitieux articulé à une formation continue ainsi qu'à des travaux de recherche est un facteur essentiel. Cette élaboration nécessite du temps (de l'argent certes mais sous la forme d'une puissante revalorisation salariale) et un engagement des personnels concernés. En clair, on construit, on adhère, on assume et on applique un projet appuyé sur des valeurs et une vision émancipatrices et ce sur plusieurs années. Et ce projet, on l'évalue régulièrement. Le fait d'inclure du temps de formation pour les enseignants-es en REP+ n'est qu'un début mais la mesure est positive.

S'agissant du contenu pédagogique d'un tel projet, il est important de garder à l'esprit deux « mythes » :

- celui des bonnes pratiques, transférables à l'envi, sans prendre en compte le fait que la dimension contextuelle et le sens personnel que chacun donne à son investissement constituent l'essentiel de la réussite d'un projet.

- celui de l'innovation qui s'appuie sur une norme intériorisée, souvent celle de la classe moyenne, à laquelle on donne une nouvelle forme.

L'espoir d'une politique ambitieuse concernant l'éducation prioritaire avec le déploiement de moyens spécifiques à même d'adapter les pédagogies

Finalement, le ministère fait un choix -budgétaire- lourd de conséquence : les effectifs des écoles et établissements de l'éducation prioritaire ne diminueront pas.Toutes les études (Piketty, Valdenaire…) qui font apparaître qu'une baisse de 5 élèves par classe en éducation prioritaire réduirait de 46 % les inégalité de réussite scolaire en primaire et de 22 % en collège.

Mme la ministre a réaffirmé la mise en place, pour les établissements qui sortent de l'éducation prioritaire, d’une «clause de sauvegarde, qui sera négociée avec chaque établissement pour que le nombre d’enfants par classe reste bas, tandis qu’une indemnité sera versée pendant trois ans aux enseignants» . De qui se moque-t-on ?

Libération, dans un de ses numéros,a demandé à Daniel FRANDJI, sociologue, enseignant à l’Ecole normale supérieure de Lyon, une analyse de la réforme. Ce qui suit en est un extrait :

Qu’apporte de neuf cette réforme de l’éducation prioritaire ?

L’important est qu’elle soit couplée avec une réflexion plus globale sur l’école. La réforme des moyens financiers mis à la disposition des établissements ne concerne pas seulement ceux relevant de l’éducation prioritaire. Dans sa conception, cette réforme s’est faite de manière participative : des travaux de chercheurs ont été pris en compte, et les acteurs de terrain ont été consultés. Cette réforme permet de sortir d’une vision mortifère des territoires prioritaires. Il est important de repenser la coordination entre la politique d’éducation prioritaire et celle de la ville.

L’éducation prioritaire a été mise en place il y a plus de trente ans. Les alternances politiques successives ont-elles modifié cette politique ?

La gauche comme la droite n’ont jamais réussi à lever l’ambiguïté concernant les objectifs assignés à l’éducation prioritaire : d’un côté, on souhaite que celle-ci corrige les inégalités ; de l’autre, on a une vision transformatrice, qui veut faire des ZEP les laboratoires d’un changement plus profond en matière éducative. L’histoire de la politique d’éducation prioritaire depuis 1982 est celle d’une tension entre ces deux orientations. Restent tout de même des différences entre les gouvernements de gauche et de droite. Sous Sarkozy, on a constaté l’accentuation d’une vision sélective et individualiste de l’éducation prioritaire, marquée par les «internats d’excellence». Sous la présidence de Hollande le discours a changé. Il met l’accent sur la lutte contre les inégalités en matière de réussite scolaire.

Quel bilan peut-on tirer de cette politique ?

Dans la mesure où les objectifs assignés à l’éducation prioritaire ne sont pas clairs, il est très difficile de tirer un bilan. En fait, tout dépend de ce qu’on attend d’une politique publique : qu’elle corrige des inégalités, ou qu’elle transforme le système ? La quantité ou la qualité ? Mais il est certain que les ZEP ont limité la casse par rapport à la dégradation socio-économique observée dans les bassins d’habitat où se trouvent certains établissements.

Les questions posée dans ce dernier paragraphe sont fondamentales: aucun gouvernement n'a voulu (ou pu?) mener de front une telle politique volontariste. Sans doute parce que la réalité s'avère complexe et très diversifiée, parce que « ...si les enquêtes internationales et nationales montrent au niveau macro, c'est-à-dire au niveau des systèmes éducatifs, des liens statistiques forts entre ségrégation sociale et scolaires et inégalités sociales à l'école, au niveau individuel, les effets scolaires de la mixité à l'école sont moins univoques ». (N. MONS , sociologue de l'éducation).

Alors, le/les débat(s), la réflexion que nous avons à mener au sein des écoles et établissements, au sein de la CGT Educ'Action ne seront pas aisés, cependant il me semble nécessaires car l'éducation prioritaire constitue un véritable laboratoire d'expérimentation pour les différents gouvernements qui ont traversé les bâtiments rue de Grenelle. Nous avons à notre disposition quelques dossiers et analyses nationaux, pas encore de repères spécifiques. A nous d'y travailler au niveau départemental (pour le prochain congrès) en allant sur le terrain, dans les écoles et établissements, en faisant un lien avec la problématique des « cartes scolaires ». Il nous faut garder à l'esprit que cette relance de l'EP n'est qu'une partie de cette refondation de l'Ecole que nous combattons depuis le début.