FOAD: les MOOC entretien avec J. Valluy

 

Les MOOC: " Ce sont des publicités, pas des cours "
Question posées à Jérôme Valluy à France Soir le 31 janvier 2014

 

Jérôme Valluy est :

  • Professeur à l’université PANTHÉON-SORBONNE (PARIS 1),
  • chercheur à l’université de Technologie de Compiègne (UTC)
  • élu FERC SUP CGT au Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche

LE MINISTÈRE ESTIME QUE « LE DÉVELOPPEMENT DES MOOCS DANS LES DIX PROCHAINES ANNÉES REDÉFINIRA LA CARTE UNIVERSITAIRE INTERNATIONALE ».
LES MOOCS PEUVENT-ILS REMPLACER LES COURS PHYSIQUES À TERME ?

C’est peu probable : la présence physique de l’apprenant sur le site de formation, la mise à disposition d’infrastructures de vie universitaire, les interactions entre étudiant-e-s et personnels, les apprentissages informels par socialisation dans le milieu estudiantin, demeurent à la base de la transmission des connaissances. Les prédictions futuristes du ministère ne reposent sur rien, si ce n’est l’envie de substituer aux cours en présence des enregistrements moins coûteux.

IL Y UN TAUX D’ABANDON ANNONCÉ DE 90%. SELON VOUS, À QUOI EST-CE DÛ ?

Cela est dû à tout ce que les étudiant-e-s « numériques » n’ont pas : des explications orales, pédagogiques, plus libres, plus simples ; une adaptation intuitive du pédagogue au niveau de son auditoire ; une aide de l’orateur à la concentration de son public ; la structuration de l’agenda de travail quotidien et hebdomadaire ; la possibilité de discuter entre étudiant-e-s du travail à faire, de la façon de s’organiser, des documents, des préparations ; les salles de travail silencieuses, les bibliothèques et équipements informatiques qui compensent la faiblesse des moyens personnels ; l’interaction avec les enseignants, chercheurs, administratifs, bibliothécaires…

QUE PENSEZ-VOUS DU MODÈLE ÉCONOMIQUE DES MOOCS ?

Il n’y a pas, pour le moment de modèle économique connu. Soit le numérique se fait à bas prix, les MOOC ne sont alors guère plus que des vidéos un peu enrichies, et l’offre de formation confine à l’escroquerie. Soit les MOOC sont techniquement et pédagogiquement sophistiqués et leurs coûts de production deviennent exorbitants. Or leur rentabilité, par certification finale payante, est faible en raison des taux d’abandon… sauf pour quelques entreprises pionnières qui ont bénéficié d’une position novatrice et d’une audience planétaire. Et encore… pour combien de temps ? La valorisation de leurs certifications sur le marché du travail n’est pas acquise à se ce jour.

UN GRAND NOMBRE D’UNIVERSITÉS ET D’ÉCOLES SE SONT LANCÉS OU VONT SE LANCER DANS L’AVENTURE. D’APRÈS VOUS, QU’EST-CE QUI POUSSE LES ÉTABLISSEMENTS À UTILISER CE NOUVEAU MODE D’ENSEIGNEMENT ?

Ce sont principalement des motifs publicitaires. En raison des réformes récentes, les universités doivent attirer des inscriptions dont le nombre détermine en partie la dotation budgétaire de l’Etat. Les MOOC sont peu coûteux comparés aux annonces dans la presse ou aux journées portes-ouvertes. Les établissements prestigieux utilisent davantage cet outil marketing, mais n’intègrent pas les MOOC dans la validation de leurs diplômes : ce ne sont donc que des publicités et non des cours.

QU’EST-CE QUE VOUS CRAIGNEZ LE PLUS DANS LE DÉVELOPPEMENT DES MOOCS ?

La tromperie commerciale de ceux qui, ne connaissant pas la différence entre marketing académique et pédagogie numérique, suivront des mirages de prestige et se croiront à Harvard, Oxford, Sorbonne… en restant chez eux, derrière un ordinateur, plutôt que de bénéficier de la pédagogie bien supérieure qu’ils trouveraient dans un établissement proche. La tromperie politique aussi consistant à faire croire que l’on peut facilement se former à distance alors que des décennies d’expérience ont prouvé le contraire, que toutes les statistiques le confirment aujourd’hui, et que la « révolution des MOOC » sert à accompagner politiquement la débudgétisation du service public gratuit d’enseignement supérieur.


Dernière publication (accès libre) : J. Valluy (oct. 2013), "TIC ET
ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR : COMMENT (RE)NOUER LE DIALOGUE ?", _Distances
et médiations des savoirs_, n°4 : http://dms.revues.org/373 [2]